PIERRE FREY – Directeur de la communication chez Pierre Frey
J’habite dans le quartier de la rue du Louvre à Paris depuis une dizaine d’année, et j’ai pour habitude de passer assez souvent à l’angle de la rue du Mail, où la boutique Pierre Frey trône en maitre des lieux. Nous deux, on s’est connu il y a 20 ans puis perdu de vu. C’est en voyant ce magasin que je me suis dit : « – Whoua ! Il a bien évolué le bougre. » Jusqu’à que je me rende compte que c’est une affaire familiale qui a été créé par son grand-père en 1935. Le but de cette interview est donc de savoir comment Pierre Frey, la marque derrière l’Homme, continue plus de 80 ans après sa création, à être La référence du tissus d’ameublement de luxe mondialement reconnue.
Cedric Canezza : Salut Pierre, peux-tu te présenter succinctement ?
Pierre Frey : Je m’appelle Pierre Frey, j’ai 41 ans et je suis le directeur de la communication de la maison Pierre Frey.
C.C. : Question que je pose à tout le monde : que voulais tu faire plus petit ?
P.F. : J’en avais aucune idée mais j’avais un gout certain pour les voyage.
C.C. : Et aucune vocation plus petit à vouloir reprendre le flambeau ?
P.F. : Pas particulièrement. J’étais immergé dans le monde de la déco sans même m’en rendre compte et je crois que j’ai mis du temps à savoir ce qui me plairait de faire dans la vie. C’est le cas pour beaucoup de jeunes non ?
C.C : Est-ce que tu dirais que tu étais en rébellion ?
P.F. : Plus de l’insouciance que de la rébellion je pense. J’ai pris conscience de ce que véhiculait notre marque, de ses valeurs beaucoup plus tard.
C.C. : Oui, Tu as baigné dedans, donc inconsciemment ton œil s’est affiné. Tu savais reconnaitre les beaux produits je suppose ?
P.F. : Bien sûr ! Mon père nous faisait visiter, des jardins, des hôtels parce qu’ils étaient beaux et en lien avec la décoration d’intérieur. Il y allait lui même pour s’en inspirer pour la marque.
C.C. : Et après ton adolescence, quel a été ton parcours ?
P.F. : J’ai fait une école de commerce. Puis mon père m’a rapidement proposé un poste chez Frey. Je devais m’occuper d’installer un programme informatique de gestion de l’entreprise en tant que coordinateur. La mission devait durer 6 mois, cela a duré 1 an et demi. C’était très intéressant, car on a mis à plat toute la structure de la Maison et cela m’a permis d’évoluer dans tous les secteurs de l’entreprise que ce soit de la direction aux stocks, de la création à la comptabilité. C’était très compliqué mais très formateur.
C.C. : Justement, ce ne fut pas trop compliqué d’arriver en tant que « fils de » et de devoir s’imposer sans connaitre les rouages de l’entreprise ?
P.F. : Clairement.
J’arrivais pour mettre à plat le système existant et essayer de comprendre le fonctionnement de la société. J’étais perçu je pense comme le petit jeune de 22 ans qui voulait leur apprendre comment faire. Alors que je voulais surtout comprendre les rouages, donc j’étais là, les mains dans le cambouis à poser des questions sans donner d’ordres je précise, mais sans vraiment travailler aux yeux des employés. Situation compliquée. En même temps je connaissais la plupart des salariés depuis l’enfance, ce qui crée forcément une complicité différente.
Ensuite je suis parti sur le terrain, j’ai appris le métier chez nos clients, donc chez les tapissiers, les décorateurs, architectes, chez les imprimeurs en amont et en aval. J’ai fait ça pendant un an. Je me suis retrouvé pendant plusieurs mois à fabriquer des canapés chez l’artisan lui-même. C’était passionnant et cela me permet aujourd’hui d’avoir une connaissance technique des métiers qui nous entourent et c’est très utile.
Ensuite, je suis devenu commercial pour le Moyen Orient et l’Europe du Sud. J’ai beaucoup changé de secteurs d’ailleurs. Cela consistait à partir 3-4 fois par an pendant 3 semaines avec nos collections de tissus et à faire le tour des agents de chaque pays pour y montrer les nouvelles collections. C’était très intéressant aussi parce que je voyageais beaucoup et j’étais toujours bien accueilli… J’ai fait ça pendant 7 ans.
C.C. : Etait-ce un plus d’avoir le même prénom que ton grand père ?
P.F. : Une originalité en tout cas. Il m’est arrivé de me présenter à des clients aux Etats Unis surpris parce qu’ils s’attendaient à se retrouver face à un vieux monsieur ….
Je crois que si j’avais le choix, je demanderais à mes parents de me donner un autre prénom. C’est tout de même lourd d’avoir à porter le nom d’une marque sur les épaules, je suis à vie affilié à une entreprise… Comme si dans la famille Vuitton on appelait le fils Louis.
En tout cas il ne me viendrait pas à l’esprit d’appeler mes enfants pareils…
C.C. : Oui c’est compréhensible. Et donc après ta période commerciale ?
P.F. : Je suis allé m’occuper de la filiale américaine à New York. J’habitais dans Soho, j’avais 30 ans, j’ai beaucoup travaillé et je me suis beaucoup amusé…
Après 5 ans il était temps pour moi de rentrer à Paris et de reprendre la communication Monde de la marque.
C.C. : D’ailleurs en quoi consiste ton travail dorénavant ?
P.F. : En reprenant la direction de la communication monde à Paris, j’ai voulu surtout me rapprocher du siège. Et donc depuis 2011, je m’occupe de la presse, des réseaux sociaux, des shootings des campagnes, de la partie magazine du site internet… Et depuis 3 ans je m’occupe de la direction artistique d’une de nos marques, parmi les 5 que nous avons, Boussac.
Aussi, nous sommes en contact avec mon équipe avec les attachés de presse des grands journaux de décoration à travers le monde, je leur donne les dernières infos, les dernières photos sur la marque. On organise aussi des diner avec des influenceurs. Je m’occupe notamment de l’Instagram de la marque avec plus de 100 000 followers. C’est chronophage mais nous en sommes fiers.
J’interviens également dans la direction de la marque avec mon père et mes frères.
Et comme dans toute entreprise familiale, nous avons tous un rôle de commercial surtout pour les clients importants qui aiment bien que les membres de la famille viennent leur présenter les produits. Et pour finir, on participe aussi à des salons, des conférences et on organise des expositions.
C.C. : A ton avis, qu’est-ce qui fait le succès de la marque Pierre Frey ?
P.F. : Pas de mystère pour nous, c’est la créativité avant tout. Puis la chance d’être chez nous en famille et donc d’être très libre. On peut sortir un des imprimés fous, être les seuls à y croire, et finalement ça marche parce que c’est dans l’air du temps.
C.C. : Justement, contrairement à la mode, où les modèles au bout de 6 mois deviennent complètement dépassés, comment fait-on dans le domaine de l’ameublement pour être toujours à la page afin de pouvoir garder son canapé qui veut parfois 3 000 euros sans en être rebuté au bout d’un certain temps ?
P.F. : Exactement. La question se pose lorsqu’un canapé vaut même parfois 10 000 euro. Je pense qu’il n’y a pas vraiment de mode dans la déco. Des courants, des préférences oui mais on continue à vendre des velours en lin, des soies autant qu’il y a 20 ans.
C.C. : Et pas trop difficile de travailler en famille ?
P.F. : Non et nous sommes conscients que nous avons beaucoup de chance.
Certainement parce que notre père nous a attiré dans la boite sans qu’on travaille véritablement avec lui. On a chacun nos secteurs où on évolue sans vraiment empiéter dans le secteur de l’autre. Et puis on a un respect évident de la hiérarchie, un respect commun de la tradition familiale aussi. Un de mes frères Vincent est directeur général de l’entreprise, Matthieu est à Singapour en tant que directeur commercial de cette zone.
Et notre père continue à être le président et le directeur de la création.
On n’est pas toujours d’accord, mais on arrive toujours à se mettre d’accord et on s’entend très bien.
C.C. : As-tu trouvé ta propre définition du bonheur ?
P.F. : Pas très original mais je dirais les bonheurs simples. Cet été en Grèce, en vacances avec ma famille et des amis sur la plage, j’ai ressenti un vrai sentiment de plénitude et bonheur.
Merci Pierre Frey pour ton accueil à la boutique Pierre Frey 2 rue du Mail
Propos recueilli et photos par Cedric Canezza