LARA LAQUIZ CARVALHO – ARTISTE
Aujourd’hui c’est la muse de Serkan Cura, alors qu’hier elle était ambassadrice de la marque Puma, chanteuse dans le groupe Nossa, et danseuse dans la dernière campagne Balmain. A l’affiche du prochain film de l’humoriste belge Nawell Madani, on pourrait ne jamais s’arrêter de lui remplir son CV d’actus plus différentes les unes que les autres. Elle même aime à se reconnaître comme un couteau suisse artistique. Je vais donc m’arrêter là et vous faire découvrir cette femme venue d’ailleurs qui cache derrière elle un lourd tribut, mais qui a su se construire un univers plus envoutant et diversifié que l’on ne pourrait imaginer.
– Présente toi !
Je m’appelle Lara Laquiz Carvalho, Laquiz est mon nom d’artiste. Je suis née à Lisbonne, d’origine portugaise et mexicaine.
– Pourquoi Laquiz ?
Laquiz (une contraction de « La Quizz »), c’est dû à ma façon de voir la vie, non comme un jeu, mais comme des étapes à franchir, des niveaux qu’on gagne grâce à notre expérience. Comme un livre avec ses chapitres, ses questions réponses qui se posent à travers le cheminement de chaque challenge que la vie nous impose.
Étant multi-facettes, j’ai dû vivre une dizaine de vies de femmes dans mon existence. C’est donc ainsi que je vois ma façon d’être tous ces personnages. C’est la philosophie qui m’habite.
– D’accord. En sachant cela, comment peux tu te présenter en tant qu’artiste pluri-disciplinaire ?
Je me dit simplement artiste polyvalente. Je viens d’une famille d’artiste, mon père était sculpteur, mon frère a fait les Beaux-Arts, mais avant ça mon grand–père était photographe dans les années vingt et sculpteur aussi. Je viens d’une famille très pauvre. Ils n’ont jamais vécu de leur art.
Petite j’étais très timide, limite autiste, j’avais du mal avec les mots et mon père m’a alors dit qu’il existait d’autres moyens pour s’exprimer que les mots. J’ai alors commencé par dessiner. On avait tellement peu d’argent que pour s’amuser avec mon frère, on dessinait nos propres jouets.
Ensuite, mes goûts se sont tournés vers le stylisme. Avant j’ai même voulu être vétérinaire comme beaucoup d’enfant. Mais comme je faisais du dessin j’ai commencé à dessiner des poupées avec des robes, des accessoires, des chapeaux.
– Tu t’es sentie frustrée de cette situation ?
Ce dont je souffrais le plus c’était surtout qu’on ne croyait pas en moi. Par exemple avec la danse ou la chanson, on m’a toujours dit que je n’y arriverai pas. Les gens doutaient toujours de mes capacités et encore aujourd’hui certains peuvent en douter. D’où ressentir cette vie comme un challenge perpétuel, et je ne peux pas vivre sans ça.
– C’est une manière pour toi de te venger de ce qu’on vécu tes parents ?
C’est assez contradictoire en fait. Je me rends compte aujourd’hui en tant qu’adulte, après être retournée chez moi, que ma vie était parsemée d’embuches. Il fallait donc que je trace, sans me retourner, comme un samouraï. Tu prends des flèches plein la gueule mais tu continues de foncer. Je me suis toujours dit lorsque j’étais à Lisbonne, que ma vie n’était pas ici, et malgré les obstacles, il fallait que je bouge quelque part pour exister.
Et donc par rapport à ta question, c’est un peu une vengeance contre ceux qui doutaient de moi, même si je ne suis ni rancunière, ni jalouse, mais ces douleurs deviennent des inspirations et c’est peut-être grâce à ça que je suis où j’en suis maintenant, l’image de la femme forte, sûr d’elle, à la limite « fabulous » lorsque je suis sur scène. Et maintenant, les gens m’interpellent par mon nom, c’est ma réussite personnelle.
– Tu aimes bien comparer ton parcours à celui de Frida Kahlo ?
Oui, on se ressemble un peu. Je la connais depuis toute petite, bien avant qu’elle soit devenue à la mode. Comme elle avec ses autoportraits s’inspirant de sa vie, moi je m’inspire de la mienne afin de devenir mes personnages.
– Elle comme toi vous avez la chance d’avoir un certain charisme.
Merci, mais oui aujourd’hui je me rends compte que lorsqu’on parle de modèle ou de mannequins, elles sont devenues des porte-manteaux. Les filles sur Youtube ou Instagram ne parlent que de nombre de followers, même les DJs qui pèsent des milliers d’euros, et quand on arrive en club, on se fait chier. J’en ai marre, ça m’étouffe. On ne nous donne plus de quoi rêver, on est de moins en moins inspirés, tout le monde se copie les uns les autres au lieu de sortir quelque chose d’eux même, et je me bats un peu contre ça, avec mes moyens, je veux me battre pour inspirer les autres.
– Je suppose qu’avant vouloir inspirer les autres tu as dû avoir un parcours chargé. Peux tu me le retracer en quelques mots ?
Après le dessin toute petite, j’ai commencé la danse à huit ans. Mais pas comme toutes les autres petites filles, avec des cours dans des écoles, mais plutôt avec mes copines avec qui on essayait de recréer les chorégraphies des Spice Girls, et des autres groupes de filles de l’époque.
– Oui ! Comme les garçons qui se rassemblent pour faire du break dans la rue ?
Oui ! On s’entrainait au soleil dans les rues de Lisbonne. Je faisais déjà la chorégraphe afin de participer aux concours d’école en fin d’année.
Ensuite, à douze ans, j’ai été repérée par une école de mannequinat. Mon père, même si on n’avait rien, s’est alors démené pour payer l’école, il a même pris un crédit. J’avais un euro par jour pour manger mais je ne le remercierai jamais assez.
J’y ai appris à poser, à marcher, et grâce à ça ce fut le déclic. J’ai lâché l’école pour travailler. J’ai fait des petits boulots et enchainé avec la nuit vers quatorze ans pour faire des performances. Mineure, je travaillais avec des transformistes, des drag Queens, on ne m’a jamais rien demandé. Puis j’ai commencé à jouer dans des pubs, et ensuite à évoluer dans la mode. J’ai même présenté une émission de télévision à dix-sept ans. Ce qui est drôle c’est que ce n’est pas si différent de maintenant.
Plus tard, j’ai commencé à apprendre le hip hop grâce à l’argent que j’avais gagné. Puis je suis arrivée dans une école d’art contemporain pour la danse et le théâtre. J’ai continué le hip hop (j’ai fait quinze ans de battle depuis), fait des comédies musicales, entre le commercial et l’underground.
Puis je suis arrivée il y a huit ans à Paris. Mon objectif était de travailler avec des chorégraphes contemporains, comme au théâtre de Suresnes, avec Mourad Merzouki, José Montalvo, Sébastien Lefrançois… Ils avaient l’art de mélanger mes deux danses, le hip hop et le contemporain.
– Tu as toujours voulu venir à Paris ?
Oui ! Bien avant les États Unis. C’est une ville qui m’inspire énormément. Pour l’anecdote, ma grand-mère avant d’aller se coucher, mettait ses bigoudis, se pomponnait car elle disait toujours qu’elle allait rejoindre en rêve son prince parisien. Cela a dû me rester.
– Et ton arrivée à Paris s’est bien passée ?
Je suis venu rejoindre mon copain donc j’avais un point de chute. Après, j’étais venue pour travailler. Je faisais huit heures d’entrainement par jour. J’étais beaucoup dans la performance. Je ne faisais que ça. Petit à petit, tu te fais des contacts, j’ai commencé à me faire un nom dans la danse, la pub, le modeling… Puis je me suis rendue compte qu’à Paris, il existe une chose que font souvent les gens. Ils se rajoutent des « skills » sur leur CV alors qu’ils sont soit médiocres, soit complètement ignorants dans le domaine. Moi qui avait appris énormément et ayant fait mes preuves, je me suis retrouvée face à des gens qui ne savaient pas faire. C’était donc tout bénèf’ pour moi. Le souci c’est que les gens se servent de leurs faiblesses pour t’étiqueter. Ça génère des compétitions là où il ne devrait pas y en avoir. Je n’ai pas envie lors d’un casting, de regarder de travers les autres participants, au contraire, je veux m’en inspirer. Mais non, à force de vouloir prendre la place de tout le monde, les gens se méfient, s’inventent des vies et je n’aime pas ça.
– C’est donc un problème d’égo ?
Oui ! Les gens ne savent pas faire la limite entre leur égo et ce qu’ils sont eux même. Leur personnage et ce qu’ils sont réellement.
– Toi même, tu sais où te situer par rapport à tout ça ?
Oui ! Mais mon mot c’est « Je n’ai pas le temps ». Je viens d’un autre pays, je suis adulte, j’ai des obligations, donc dorénavant il faut foncer. Tu sais être artiste, c’est très dur. En étant femme, je suis complexée. Il ne faut pas me mettre dans une case, me demander mon âge par exemple. J’ai l’impression qu’on me met une date de péremption et c’est terrible. Tu dois être belle, rentrer dans des critères… Faut pas croire, mais les gens, et parfois tes proches, n’aiment pas quand tu réussis car au final, c’est quelque chose qu’eux n’ont pas réussi à faire et cela les frustre même s’ils vont montrer qu’ils sont contents pour toi. Il ne faut pas généraliser non plus, mais y faire attention afin que cela ne te revienne pas en pleine poire.
– Tu parlais de date de péremption dans ton domaine d’activité, tu as déjà prévu une reconversion ?
Je serai artiste toute ma vie. En faisant de la direction artistique par exemple. Écrire, créer. Lorsque je travaille avec d’autres personnes, on est dans un partage, j’amène ma pâte. Si on me prend, je ne suis pas payée pour boire mon petit café en attendant d’être maquillée. J’échange donc avec le photographe ou le réal, et cela me passionne.
– Et tu n’as pas peur qu’on ait cette image de fille qui ne se laisse pas faire, difficile à travailler ?
J’ai souvent cette image de fille hautaine, qui parle fort, sur les réseaux sociaux par exemple ; d’ailleurs je mets de l’eau dans mon vin depuis peu, car je sais que c’est parfois mal vu, mais c’est parce que j’ai beaucoup à dire et cela va dans le sens de l’artistique. Je ne me mets jamais en avant pour ma petite personne.
Pour en revenir à l’image qu’on donne, les gens n’ont pas à savoir quand on est malheureux, ni ce qu’on pense de la politique, c’est clivant. Surtout pour un artiste, les gens veulent voir ce qui les fait rêver et pas la personne humaine qu’il y a derrière. De plus, en m’exprimant moins sur les réseaux, je dépense beaucoup moins d’énergie négative et la consacre pour de meilleures choses.
– Par rapport à cette image que tu donnes sur scène et les réseaux sociaux, la vraie Lara, c’est celle que je vois là, en jogging et sous un plaid parce qu’elle a froid ?
(rires) oui et pas maquillée, sur mon lit.
– Mais malgré le privilège que j’ai de te voir ainsi, tu as besoin d’être grimée, déguisée, devant les gens ?
Alors non, je ne me déguise pas. Quand on me voit même en créature, c’est toujours moi. Je cache juste certaines choses. On a pu me voir dans des tenues très sexy mais jamais nue. C’est un peu la même chose. L’intimité reste une chasse gardée pour certains. Si tu veux découvrir qui je suis il faut me conquérir.
Après, on découvrira qu’il ne me faut pas grand chose pour vivre. Je suis une personne très simple et encore une fois, je sais faire la différence entre mon égo et ce que je suis vraiment. Et malgré l’image de la personne confiante que je peux donner en spectacle, je suis une personne avec beaucoup de complexes et de cicatrices.
– Et en prenant un peu de recul sur toi même, comment penses tu être perçue par les gens avec qui tu travailles ?
Je n’en ai aucune idée. C’est la première fois qu’on me pose cette question. Par contre je sais que je suis chiante. Je gère absolument mon image. Peu de gens savent me mettre en valeur. Comme pour mes cheveux qui sont très longs, c’est un travail de longue haleine. Alors je discute avec les gens, mais même en expliquant gentiment, les personnes le prennent mal car tu remets en question leur professionnalisme. Alors qu’à ma place, je suis peut-être la seule à savoir depuis 20 ans comment me mettre en valeur. On devrait pouvoir échanger tranquillement mais parfois cela passe pour du snobisme.
Mais évidemment, il existe toujours une tendance en nous, les artistes, à vouloir se faire aimer, sinon on ne ferait pas ce métier. Tu sais lorsqu’on montre quelque chose par exemple sur Facebook, même un like est très important et j’y ferai attention comme une personne qui me dirait qu’il m’aime en face.
– Et sinon : des modèles, des artistes que tu respectes ?
Et bien j’ai eu l’opportunité de travailler avec Jean Paul Gauthier. J’étais devenue complètement folle lorsque j’ai su qu’il m’avait choisie pour un projet. Je suis définitivement une Thierry Mugler girl aussi. J’adore ce créateur et la haute couture en général. Frida Kahlo évidemment.