BLASE – Artiste peintre, pirate d’oeuvres d’art
– Pour commencer, présente-toi !
Blase, 36 ans. Je suis restaurateur de tableau. Mais je ne m’arrête pas là. Certaines personnes disent que je suis un hacker, mais au final, tel un pirate de l’air, je fais du détournement, mais de tableaux. Car comme quand tu prends un avion et que tu n’atterris pas là où tu voulais, c’est pareil avec mes tableaux. Comprends-tu ? On est sur une création de poste, donc pas facile d’y mettre un terme précis.
– Là, tu bosses sur quoi ?
Ba comme un artiste actuel, je fais des choses qui mélangent mes tableaux, la com, des collabs ; je bosse sur une pochette d’album pour un groupe d’électro bien inspiré chez Kill the DJ, et là, tout de suite tout de suite, je prépare une présentation de mon taf pour l’agence Rosa Park, et ils m’ont demandé de faire une keynote.
– C’est quoi ? un genre de power point ?
Non, pas du tout. D’ailleurs, je pensais qu’il fallait venir en col roulé et crane rasé, mais c’est surtout de parler de soi à la 3eme personne avec en fond quelques images retraçant ta vie, ton oeuvre, le tout en fumant la pipe. Alors moi qui sort d’un BEP cuisine, j’ai demandé à mes potes qui s’y connaissaient un peu plus, sinon j’étais perdu. Et ils m’ont dit : « Ne t’inquiète pas, tu as juste à parler de toi pendant 1 heure, tu sauras le faire. »
– Ah ouais ! Ils pensent que t’es assez narcissique afin de remplir facilement cette mission ?
Quand tu fais de l’art, il faut l’être plus au moins. Mais moins qu’à la téloche évidemment.
– Je vois ce que tu veux dire. Et sinon, tu viens d’où ?
Je viens du centre, d’une région connue pour ses pastilles, ses carreaux (ndlr : et ses carottes) mais aussi pour son ancien gouvernement.
– Oui, je vois !
Voilà ! Et à l’école quand tu avais dix bons points, tu avais une photo du Maréchal.
– Non ! Tu es né pendant la seconde guerre mondiale, en fait…
Ben non ! Je ne vois même pas comment on pourrait y croire. Mais c’est juste pour dire que dès lors tu nais dans un endroit, et ben toute ta vie tu te sens obligé de te justifier.
– Ensuite, ton cursus scolaire ?
Pas très long. D’abord, l’école publique, ensuite chez les curés. Je me rappelle d’une chose d’ailleurs, c’est qu’il fallait dénoncer ses camarades qui fumaient dans la cour, c’était juste surréaliste. Du coup j’ai demandé au directeur du bahut si tout cela ne nous ramenait pas au gouvernement de Vichy, je me suis fait virer 15 jours après…
– Et après l’école, que pasa ?
J’arrête l’école à 15 ans. Je passe tout de même un BEP vente et un BEP cuisine. Parce que les parents, ils te disent « : si tu veux arrêter l’école, trouve-toi un boulot. » Donc, je passe mon premier BEP pour le confort, mais pour le deuxième, c’est ma mère connaissant mon gout pour la cuisine qui fit les démarches auprès d’une de ses connaissances et qui m’y envoya faire mes preuves. Mais après, j’ai fait plein de boulot. J’ai travaillé aussi dans une casse à la ferraille à Eccles, Manchester.
– Comment t’es arrivé en Angleterre ?
Il fallait que je me barre de chez mes parents. J’avais 18 ans. Et je t’avoue la casse, cela te donne une certaine épaisseur. Tu négocies avec des gitans qui ont piqué du câble dans des chantiers, tu transformes des ballons d’eau chaude pour en faire des briques de cuivre. Mais ça t’apprend la vie. Lorsque mon père me disais qu’il avait chier dans des endroits où j’irai pas pisser, et ben pour le coup je suis vraiment allé dans ce genre d’endroits. Après tu fais le bonhomme juste pour prouver à ton père que tu peux te débrouiller sans lui et dans des conditions difficiles.
– Mais le milieu dans lequel tu as évolué plus jeune, c’était plutôt bourgeois ?
Non, j’aurai plutôt dit anar’ des années 70. Mes parents avaient une brocante pendant un moment où cela allait bien en France. Les gens qui gravitaient autour d’eux étaient un peu âgés et je n’avais qu’eux comme modèles, car il y avait peu d’enfant dans notre entourage pour que je m’amuse avec. Et comme ils étaient un tant soit peu excentriques, je m’amusais beaucoup. Par contre cela a rajouté d’autant plus à mon mal être lorsque j’allais à l’école.
– Ok ! Et après l’Angleterre ?
J’ai roulé ma bosse surtout en tant que cuistot, encore en Angleterre, Irlande puis au Luxembourg, Paris, Clermont Ferrand. C’est ce qu’il y a de bien lorsque tu es français et cuisinier, c’est que tu peux prendre un billet d’avion, débarquer quelque part, tu trouveras toujours un poste dans un resto.
– Et quel fut le déclic pour en arriver à ce que tu fais aujourd’hui ?
Je m’en rappellerai toujours. J’étais chez un pote de mon père. Et je tombe nez à nez avec un vieux papier gris éléphant, légèrement bleuté. Cela représentait des musculatures, des jolies filles dans des positions pas possible et c’était un dessin préparatoire original de Rubens : « La Conclusion de la paix à Angers ». Cela m’a retourné. Cela voulait dire aussi que j’avais déjà bon goût. C’est seulement des années après que je me retrouves devant l’œuvre finale au Louvre.
– Et entre-temps ?
Entre-temps, je décide, fort de cette expérience de m’inscrire en histoire de l’art. C’était presque une question de survie. Face à mes profs, je suis devenu une éponge, j’avalais les cours, j’apprenais tout. Un véritable plaisir. Donc cela pendant 2 ans. Ensuite, j’ai travaillé pour le plus gros marchand de tableau à Paris, quai Voltaire, et qui s’appelle Charles Bailly.
– Comment t’y as débarqué ?
L’expert qui travaillait chez lui, faisait des masters class à l’école d’art où j’ai fait mes études. Il a tout de suite vu mon engouement et un soir on est allé boire un verre ensemble en sortant de classe. En tout bien tout honneur, je te vois venir. Il me dit alors que si j’ai besoin d’un stage, je pouvais l’appeller. C’était pas tombé dans l’oreille d’un sourd, je l’appelle dès le lendemain et je rentre directement à la galerie. Je suis resté chez eux deux ans. Je suis passé de fils de brocanteur à factotum, chez un des plus grands marchands de tableau du monde, tout cela en allant prendre une bière.
– Comme quoi le destin.
Par la suite, j’ai dû me mettre à mon compte, mais n’ayant pas d’argent pour acheter les tableaux, tu achètes des croutes et tu essaies de les restaurer toi-même. J’ai bien tenté de m’inscrire aux écoles de restauration mais je n’avais pas le profil.
– Mais comment tu as fait pour apprendre les différentes techniques propre à chaque époque, chaque artiste que tu restaurais ?
Et bien j’ai ruiné énormément de tableaux… C’était chaud. Quand il fallait en rentoiler certains, je les collais sur le plan de travail par exemple. Mais à la base, j’étais un féru de technique, il ne me manquait que la pratique. Alors, je suis passé en mode apprenti sorcier, à essayer de glaner les infos à gauche à droite, sur internet. Mais, c’était très dur. Ce n’est pas un métier où tu aimes partager tes techniques. Comme toi en tant que photographe, les autres ne vont pas lâcher leurs techniques et risquer que tu grignotes leur bout de pain. Jusqu’au jour où je rencontre un vieux de la vieille qui m’a donné 2-3 conseils, je suis allé acheter un fer à repasser à Montreuil pour rentoiler les tableaux, et j’ai passé 10 ans à faire ça. Mais j’étais connu pour acheter des tableaux où tu pouvais passer la tête dedans.
– Et à quel moment tu as décidé de détourner ces tableaux ?
Dès le moment où j’avais de superbes tableaux entre les mains, mais plus de concept, plus de sujet intéressant. J’avoue au début c’était un peu pour faire marrer mes potes, mais au final, l’objet était devenu plus sexy, plus intéressant. J’avais trouvé une connerie à faire, un peu malveillante de sale gamin qui s’amuse à dessiner sur les murs, sauf que c’était sur des tableaux et que cela apportait une valeur ajoutée. Sur mes premières oeuvres, je rajoutais des Loch Ness , des masques sur des portraits 18eme, nez de clown etc , j’ai même fait des étoiles de David sur des œuvres des années 40 où les gens faisaient la gueule, et je les vendais dans des ventes Judaïca.
– En effet, c’est cocasse… Maintenant qu’on est arrivé à en expliquer la genèse, peux-tu me dire quelles sont les étapes de fabrication d’une œuvre ?
Par semaine, je dois voir entre 500 et 1000 tableaux, sur internet, à Drouot, ou en déballage ; et je choisi 1 ou 2 tableaux dans lesquelles j’ai l’impression que je peux y poser mes bagages. Je prends essentiellement des portraits, mais je peux aussi choisir des scènes de genres. Ce qui est important, c’est que le tableau déclenche une émotion. Il faut une qualité, l’amour du beau geste, de la chose bien faite…
Commence alors l’étape de restauration. C’est un temps où je pose les yeux sur l’œuvre, où je commence à évaluer la possibilité de la transformation. J’essaie toujours de trouver quelque chose de juste et d’économe. Pas besoin de transformer les décors, de changer toute l’œuvre. Juste trouver le détail qui transformera la peinture et qui donnera l’impression à celui qui la regarde de se prendre un coup de poing dans le ventre.
– Quels sont tes thèmes principaux ?
C’est plutôt assez large, c’est la vie en général, notre culture d’occidental égocentré, ça peut être Steve Jobs, un film de Tarantino, Notorious Big, les légendes urbaines, la pédophilie, un mec qui prend de la coke, la culture geek, le combat de minorités, le fanatisme, du white trash, le culte de soi… Ce qui me touche, ce qui nous touche, j’essaie de ne rien m’interdire mais c’est compliqué de trouver l’angle sans faire du trash pour du trash.
– A propos de pop culture, quelle est ton actu ?
Et bien ce soir je fais une raclette. Sinon, je vais lancer une gamme de canevas de grand-mère modifié à la sauce Blase. Je prends le contre-pied du côté nunuche, kitsch à souhait des années 70-80 pour en faire des images dérangeantes. Les anglais et les américains devraient aimer. Là par exemple on a une image de cyclistes pendant le tour de France. Le premier est en danseuse et fait sur celui qui est derrière. C’est une allégorie un peu trash sur les travers de la compétition de haut niveau.
Sinon l’année prochaine, je prépare une exposition à la commission européenne au Luxembourg. D’ailleurs, je m’inquiète sur les œuvres que je vais y exposer, ne voulant pas être trop trash pour l’occasion.
Et dernièrement je me suis installé avec d’autres artistes dans un atelier au 74 rue d’Hauteville 75010, « L’atelier Hauteville ». C’est un genre de coopérative laitière mais pour des artistes et directeur artistique. Et ce sont chacun de bonnes grosse brutes avec notamment André Palais et Rémi Wyart. Je suis très content de les rejoindre dans cette aventure.
– Cet été, tu avais exposé un très grand format de tableaux, tu peux nous en parler ?
Oui j’y ai un peu perdu ma santé d’ailleurs. Mais c’est pour moi le premier tableau sérieux que je faisais. Un grand tableau de 3m par 2. Avec un sujet pas évident, c’est un mec qui est équipé d’une ceinture d’explosif et qui est sur le point de se faire sauter. Le sujet m’a fait énormément gamberger. Il permet de cristalliser une période qui est difficile. En tout cas il a fait beaucoup réagir les gens à qui je le montrais.
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– Et pour finir, tu as une phrase qu’on pourrait inscrire sur ton épitaphe ?
« Ah ben enfin, sa cote va monter ! »
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