ALIX DE BEER, LA photographe des influenceurs.ses


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Propos recueillis par Clémence di Tella
Photos par Cedric Canezza

Ancienne contrôleuse de gestion reconvertie en photographe de mode, Alix de Beer compte aujourd’hui plus de 67K abonnés sur Instagram et collabore régulièrement avec les plus grandes influenceurs.ses français.es et internationaux.les. Nabilla Benattia, Iris Mittaenere, Sara Forestier, Richard Gasquet, Norman Thavaud… Ils sont tous passés devant son objectif.
Rencontre avec une personnalité inspirante, qui jouit enfin de sa passion !

            Pleine de doutes quant à son avenir professionnel, Alix choisit de suivre des filières assez générales, sans grande conviction : terminale S, classe préparatoire à Bayonne puis la SKEMA, une école de commerce basée à Nice. Après ses études, elle se lance, un peu par hasard, dans la vie active en tant que contrôleuse de gestion. Très vite, elle décroche son premier CDI.

Qu’est-ce que tu te voyais faire plus tard quand tu étais petite ?
« Petite, je me voyais bien maitresse ou chef d’entreprise. Je ne savais pas trop ce que ça voulait dire mais mon père avait monté sa boite donc j’imaginais que c’était ça la réussite. »
Tu te voyais évoluer dans le métier de contrôleuse de gestion ou dès le début tu as su que ce n’était pas fait pour toi ?
« Au tout début, j’aimais vraiment bien. Je me voyais même évoluer, mon objectif c’était d’être DAF (directrice administrative et financière). Et puis ensuite j’ai déchanté. »

            Au bout de quelques années, la routine, le manque d’épanouissement et l’ennui la pousse à négocier une rupture conventionnelle avec son entreprise.  

Qu’est ce qui a réellement déclenché ta décision d’arrêter le contrôle de gestion ?
« Il y a eu plusieurs évènements qui ont conduit à cette décision. Je ne sais pas si c’était un bore-out, un burn-out, ou un brown-out mais je ne me plaisais plus dans ce métier et je ne me voyais plus y évoluer. »

Ça n’a pas été trop dur de repartir de zéro ?
« Au début, ça m’a fait un peu peur, je me suis demandé si je ne devais pas faire une école de photo. Et puis finalement, je me suis dit que j’avais 27 ans, que j’avais déjà fait 5 ans d’étude et surtout qu’il y avait YouTube si j’avais besoin d’apprendre. J’étais habituée à travailler et à gagner de l’argent donc ça m’aurait fait vraiment bizarre de retourner à l’école, et ça n’aurait pas été très stratégique je pense. »

Comment la photo t’est venue à l’idée ?
« La photo était déjà hyper présente depuis mes 15-16 ans, dans mes voyages ou avec mes amis. Pour mes 25 ans, j’avais demandé un appareil photo Réflex numérique. La photo avait toujours pris de la place dans ma vie, et là ça redevenait de plus en plus présent. C’était la suite logique. »
Comment s’est faite la transition avec la photo ?
« Dès le départ, j’étais focus sur la photo. J’ai commencé par faire quelques petits boulots en lien avec ce secteur mais je vivais principalement du chômage. Pour commencer à en vivre, il a fallu attendre 2 ans. »

Ça ne t’a jamais angoissé le fait que ce soit un travail beaucoup moins sécurisant que le métier de contrôleur de gestion par exemple ?
« Non en fait j’ai toujours eu hyper confiance. Avant j’étais hyper rationnelle, tout était calculée dans ma tête. Et là, j’ai complètement lâché prise et finalement c’est quand tu lâches prise qu’il y a des choses pas mal qui arrivent. »

            Évidemment, son parcours est fait de rencontres déterminantes ; comme ce jour où elle décide d’aller à la sortie du défilé Balmain, pendant la Fashion Week de Paris. Elle y sympathise avec une australienne venue couvrir l’évènement pour un magazine de son pays d’origine, qui l’aide à maitriser son appareil et l’initie à la photographie street style. Pendant cette période, elle développe son style et améliore sa technique. Ses photos, elles les postent alors sur son blog et sur Instagram, réseau social novateur à ce moment-là. Les modèles la repostent, sa communauté s’agrandit.

            Pour booster sa carrière de photographe et obtenir de nouveaux contrats, la pétillante bordelaise a alors l’idée de contacter la blogueuse parisienne Kenza et de lui proposer un shooting. Et ça marche ! L’influenceuse accepte, et les contrats s’enchainent. Elle est ensuite contactée par d’autres blogueuses, puis par des marques.

Pourquoi avoir choisi Kenza comme premier modèle ?
« A l’époque, c’était la number one, la blogueuse la plus connue de Paris, avec le plus de followers, tout le monde se l’arrachait. Moi je la suivais depuis longtemps et j’aimais bien sa personnalité, je trouvais qu’elle avait l’air cool. Je voulais vraiment être sûre de moi donc j’ai attendu d’avoir un Instagram avec 5 000 à 10 000 followers pour la contacter. J’avais l’impression que tout se cristallisait dans ce shooting et c’est marrant parce que c’est un peu ce qui s’est passé. Tout est allé assez vite après ça. »

Comment tu travailles avec un modèle ?
« Ça dépend si c’est pour une marque ou pour un projet perso. Quand c’est pour un shoot perso, c’est le modèle et moi qui choisissons tout de A à Z. Donc souvent je propose un moodboard, un lieu et des styles de tenues.  Après c’est très variable : il peut y avoir des make-up artist ou non, parfois c’est dans la rue ou dans un hôtel ; parfois il faut prendre l’avion ou le train pour aller au shoot. Les projets perso ne sont pas rémunérés, on les fait uniquement pour alimenter nos comptes Instagram respectifs, parce qu’il faut créer du contenu.  Et moi ça me permet de ne pas avoir les directives d’une marque, on se sent quand même plus libre.Quand c’est pour une marque, c’est très cadré. Souvent la marque préfère avoir le contrôle sur le stylisme, le maquillage et la coiffure parce qu’ils ont déjà validé ça en amont. Moi je conseille juste sur les attitudes ou le lieu en fonction des directives que l’on m’a données. »

Qu’est-ce que tu as envie de raconter en général dans tes photos ?
« Plutôt des choses positives, donc j’utilise des couleurs chaudes, et je privilégie les attitudes assez douces ou féminines. »

Est-ce que tu retravailles beaucoup tes photos ?
Avant non, je changeais juste les tons et l’exposition. Mais maintenant je Photoshop pas mal : quand il y a des trucs dans la rue et qu’ils me gênent, je les enlève, ou je clean la peau par exemple. Je me dis que la photo est quand même beaucoup plus jolie et je vois que les filles préfèrent. Mais c’est vrai que c’est un peu mensonger, je me rends compte…

            Il n’est pas facile de se faire un nom dans le milieu assez macho de la photographie de mode, encore plus lorsque l’on est une femme. Heureusement, Alix a su compter sur sa personnalité solaire et son sens du relationnel pour se faire une place de choix dans ce monde si particulier.

Tu ne photographies quasiment que des femmes. Est-ce qu’il y a une raison à ça ?
« C’est là où je me sens le plus à l’aise. Je trouve qu’il y a plus d’émotions dans un corps et un portrait féminin. Je trouve ça plus sympa à faire. »

Les influenceuses pâtissent parfois d’une image de filles superficielles sans vraies compétences. Est-ce que tes photos ont une vocation féministe ?
« C’est vrai qu’on les fait souvent passer pour des greluches, des filles qui ne servent qu’à faire consommer leurs followers. Moi je les connais donc je sais que, derrière ça, il y a des vraies bosseuses, des filles qui réfléchissent, qui sont smart, qui ont des millions de qualités quoi ! Quand ça ne s’arrête pas à un Instagram, je trouve ça trop bien. »

Est-ce que tu as déjà eu des mauvaises expériences avec certains modèles ?
« Il n’y a pas très longtemps, j’ai shooté une personnalité connue pour un évènement. J’ai posté une photo d’elle sur mon Instagram et son agent a appelé directement la marque pour demander à ce que la photo soit supprimée immédiatement et remplacée par celle qu’elle avait posté sur son compte. En fait, elle avait fait ses retouches, elle s’était affiné la taille, les joues. Et pour ne pas que les gens aillent sur ma page et voient les photos non retouchées, elle avait enlevé le crédit sous la photo. »

Comment gagnes-tu ta vie ?
« Moi, dans mon business model, c’est les marques qui me rémunèrent. Ça arrive que des influenceuses fassent appel à moi et qu’elles me rémunèrent elles directement, mais c’est 10% de mon activité. Les influenceuses, c’est un peu devenu mes copines donc je n’ai pas trop envie qu’il y ait de notion d’argent entre nous. Et puis de toute façon, les marques ont plus de budget. »

Est-ce que c’est toi qui choisis les influenceurs quand tu travailles pour une marque ?
« Il y a plusieurs cas de figure possibles. Parfois, la marque me consulte sur l’influenceur à shooter, parfois elle l’a déjà choisi, et puis, d’autres fois, c’est l’influenceur qui me contacte directement parce qu’il a un budget imposé par la marque et qu’il veut travailler avec moi. »


Aujourd’hui, tu fais beaucoup de photos life style, qui sont d’ailleurs devenues plus vendeuses que les photos de podium. Est-ce que tu serais partante pour faire de la photographie de mode édito ou de la photographie de pub ?
« Oui, ça m’arrive d’en faire quelques fois et j’aimerais en faire plus. Mais comme les marques m’ont un peu catégorisée dans le street style, elles m’appellent moins pour des éditos ou des photos studio. »

            La routine ? Elle ne connait pas. Toujours avec de nouveaux clients, sur de nouveaux projets, son quotidien est très varié.

Quelle est ta journée type ?
« Un jour sur deux, j’ai un shooting. Donc j’y vais, je shoot, je rentre chez moi, je dérush, je trie les photos, je les envoie pour sélection au modèle ou à la marque et ensuite je les retouche.
Et puis, un jour sur deux, je fais du traitement, je gère les mails et les appels. »

            La suite elle l’envisage avec confiance.

Comment tu vois ton avenir ?
« Pendant le confinement, je ne travaillais plus donc là de reprendre les shoots, ça va être incroyable. Pour la suite, je reste à l’écoute de mes envies. Mine de rien, ça évolue très vite dans ce métier donc c’est possible qu’un jour je me lasse et que j’ai envie de faire autre chose. Si ça arrive, je changerai. »

Tu n’as jamais regretté ton choix ?
« Non, jamais. »